Alignement planétaire pour l'alimentaire haut de gamme ?

La presse a récemment fait état d’une victoire judiciaire remportée par la célèbre maison de Champagne Billecart Salmon contre l’enseigne Cdiscount.
Il est rapporté que fin 2012, la maison de champagne avait relevé la commercialisation sur le site Cdiscount.com de ses champagnes à des prix anormalement bas, dans un environnement commercial dévalorisant l’image de marque haut de gamme du produit, ayant même été extraits de leur emballage d’origine pour être reconditionnés de façon beaucoup moins valorisante, selon la bonne vieille technique du prix d’appel.
Or, la maison Billecart Salmon commercialise ses produits à travers un réseau de cavistes indépendants, outre l’hôtellerie de luxe et la grande restauration, c’est-à-dire des débouchés commerciaux cohérents qui ont pour but de préserver l’image de marque du produit.
A n’en pas douter, lesdits cavistes se voient imposer des conditions contractuelles de très grande sévérité comme on en rencontre en distribution sélective, et la jurisprudence à, depuis fort longtemps, posé en principe que ces critères de sélection doivent être objectifs et être appliqués à l’égard de tous de manière non-discriminatoire. Mais ce n’est pas tout, car il convient également que ces critères soient proportionnés à l’objectif poursuivi.
Les règles de concurrence sont ainsi faites que sans critères qualitatifs, pas de possibilité de s’opposer à la revente de vos produits à vil prix, ni d’en protéger l’image de marque.
Classiquement, quand vos produits se retrouvent chez un détaillant qui n’a pas vocation à les vendre, le premier réflexe du fabriquant est de savoir d’où ils viennent et qui les a livrés.
C’est précisément ce qui a conduit la maison de champagne devant le juge des requêtes du Tribunal de Commerce de Bordeaux, qui l’a autorisée à se faire remettre par Cdiscount les documents permettant d’identifier les fournisseurs.
En 2012/2013, cela n’était pas évident, car l’arrière-plan jurisprudentiel était notamment constitué par deux décisions de la Cour de Justice de l’Union, l’une de 2009 et l’autre de 2011, desquelles on pouvait conclure qu’il était difficile de s’opposer au commerce via l’internet, même en présence d’un réseau sélectif.
Si l’on ajoute à cela que depuis 2003, la demande du fabriquant visant à connaître les sources d’approvisionnement du revendeur peut être subordonnée à la preuve préalable de ce que le réseau du fabriquant est licite et étanche, c’est-à-dire que tous les détaillants agréés appliquent bien les critères fixés, on voit qu’une simple demande d’information permettant de tracer des livraisons n’avait rien de banal ni d’automatique.
La Cour d’Appel de Bordeaux confirmera cette autorisation le 29 juin 2016, mais c’est surtout la Cour de Cassation qui, le 11 Janvier 2018, rendra un arrêt de rejet du pourvoi formé par Cdiscount salué par la profession tout entière, en ce qu’il considère la démarche de la maison Billecart Salmon comme parfaitement légitime.
Ce faisant, la Cour de Cassation reconnaît la spécificité d’un produit de luxe comme le champagne, et son arrêt se trouve en adéquation avec un arrêt aussi important qu’attendu, rendu le 6 Décembre 2017 par la Cour de Justice de l’Union, qui est idéalement venu préciser la jurisprudence précitée, et les conditions dans lesquelles un fabriquant de produits de luxe peut s’opposer à la revente de ses produits par un site internet de mass market visible comme l’est Amazon.
Au cas d’espèce, la société Coty Germany, qui commercialise en Allemagne ses produits cosmétiques de luxe par l’intermédiaire d’un réseau de distribution sélective qui interdit aux détaillants de revendre les produits via une entreprise tierce qui n’a pas été agréée, ou qui interviendrait visiblement sous une autre dénomination commerciale que celle du distributeur agréé, a été confrontée à l’approvisionnement, par l’un de ses détaillants agréés, du site www.amazon.de.
Elle a demandé en justice que cette commercialisation soit interdite, mais le juge allemand s’est tourné vers la Cour de Justice, laquelle, après avoir précisé sa jurisprudence et les caractéristiques d’un produit de luxe, a surtout considéré qu’une clause contractuelle qui vise à empêcher la revente par des sites comme Amazon, dans des conditions dévalorisantes pour le produit, n’était pas illicite en soi si elle reste proportionnée à l’objectif poursuivi.
On a ainsi le sentiment que la nécessité de lutter contre les pratiques d’appel mises en exergue par les EGA a déjà une traduction dans les prétoires, comme si les planètes s’étaient subitement alignées.